La Translozérienne à La Bastide-Puylaurent |
Le parcours de cette ligne a subi de nombreuses modifications en raison du terrain extrêmement accidenté qu’elle traverse. À l’origine, un itinéraire beaucoup plus direct et moins sinueux était prévu entre Mende et La Bastide, projet lancé dans les années 1880. Cependant, les difficultés rencontrées pour percer les souterrains, les coûts de construction très élevés et le faible potentiel de la ligne ont conduit à une réévaluation complète du projet. Les travaux déjà entrepris ou simplement planifiés, notamment près de Mende (tunnel de Badaroux) et de Belvezet (tunnel d’Altaret Goulet), ont été abandonnés. Finalement, le tracé actuel, privilégiant davantage le charme pittoresque que l’efficacité, a été étudié et mis en œuvre de manière tardive.
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Le Fernand, peu enclin au travail agricole et quelque peu désespéré, avait décidé à son tour de déserter cette contrée difficile. Il s'en était allé en silence, un matin de janvier de cette année, au moment où l'aube dénoue les insomnies. Mal chaussé, par des chemins peu sécurisés et difficilement praticables, il s'était rendu à La Bastide-Puylaurent où la construction de la future ligne de chemin de fer, la « Translozérienne », requérait un nombre conséquent de main-d'œuvre. Grands travaux de ce XIX' siècle, le premier projet de cette ligne reliant Le Puy-en-Velay à Nîmes, desservant Grandrieu, Rieutort-de-Randon, Mende et Florac, rencontra des fortunes diverses.
Présenté en première lecture dès 1855 par le préfet de la Lozère, il était tout simplement refusé par la commission d'étude sous la pression personnelle du président Napoléon III. Heureusement, quelque peu remanié, le second programme constitua, lui, le projet définitif, malgré une opposition impulsive venue principalement de l'Ardèche, département voisin. Ces maintes réticences dépassées et avec toute l'influence de monsieur Talabot, futur directeur général de « PLM » ainsi que monsieur Théophile Roussel, alors député de la Lozère, le dessein semblait finalement accepté et le 19 juin 1857 le gouvernement déclarait la ligne d'utilité publique.
Depuis, sur le terrain, le travail s'avérait titanesque, particulièrement pénible et dangereux. Déjà, l'objectif avait été endeuillé plusieurs fois, mais envers et contre tout le chantier progressait, lentement, certes, étant bien entendu que l'abandon ne figurait pas dans le texte paraphé. La construction était bel et bien lancée. Pourtant, les difficultés s'accumulaient, des obstacles aussi considérables qu'imprévus, bien cachés par la nature, se présentèrent aux ingénieurs, risquant à tout instant de décourager la masse ouvrière.
Le tracé et le profil de cette ligne ferroviaire nécessitèrent obligatoirement les percements d'un grand nombre de tunnels et la construction de gigantesques oeuvres d'art, comme des viaducs, dont certains semblaient voisiner avec le ciel du haut de leurs quatre-vingts mètres. Jean-Baptiste avait été en cela particulièrement informé par un colporteur venu de Langogne proposer des accessoires vestimentaires. Si ce commerçant se montra âpre en affaires, il ne fut pas avare d'informations. Profitant de l'hospitalité acquise durant toute une fin d'après-midi et après quelques vétilles sans grande importance, il détailla intelligiblement l'incroyable entreprise et l'ampleur des chantiers à travers la Lozère. Il présentait les sites choisis comme rudes et sauvages, diaboliques d'accès, choisissant afin d'illustrer ses propos une vallée profonde, très encaissée, sillonnant au pied du « Grattassac » formé de schiste déchiqueté résultant d'érosions millénaires.
Jean-Baptiste testa longuement la véracité du commentaire du colporteur et alors, et alors seulement, il s'intéressa réellement au déroulement de cette actualité. Mais si ces endroits demeurent si escarpés, comment comptent-ils traverser cette montagne ? l'interrogeait-il. J'y viens ! Elle sera finalement franchie cette cime, par un tunnel de sept cents mètres de long et, ainsi, les futurs trains passeront de la vallée de l'Allier à celle de l'Altier en évitant les hauts sommets. Le marchand s'attarda plus largement sur le passage dans la vallée du Chassezac. Véritable merveille pour les yeux, un lieu où certainement Dieu créa la beauté ! ajoutait-il avant de poursuivre son exposé technique sur le forage du tunnel de l'Albespeyres (Prévenchères).
Vous rendez-vous compte, monsieur? appuyait-il. La future voie ferrée empruntera mille cinq cent vingt mètres de galerie, sous cette montagne extrêmement coriace à vaincre. Une opération, clamait-il, pharaonique, dans un granit d'une inimaginable résistance. Quand vous pensez ! précisait-il, à la manière d'un éminent technicien. Que l'avance par attaque se résume seulement à vingt centimètres par jour. De plus ! continuait-il, semblant intarissable sur le sujet. En raison de risques flagrants d'asphyxie pour les chauffeurs et les mécaniciens présents sur le chantier, il est actuellement envisagé de construire une usine de ventilation à l'entrée du souterrain, une innovation en la matière.
Jean-Baptiste s'égarait dans ce récit, surpris par tant de connaissances développées dans l'exposé. Il tentait désespérément d'assimiler ces termes barbares, inconnus jusque-là de son propre vocabulaire. Seulement, à cause d'une certaine fierté, il tentait de dissimuler ses carences scientifiques. Il chercha et trouva une question appropriée. Mais combien cette ligne nécessitera-telle de pareilles infrastructures ? Environ une dizaine de tunnels d'importance variable entre La Bastide-Puylaurent et Concoules, complétés par quatre ou cinq viaducs, employant pour le seul secteur de Villefort, plus de deux mille cinq cents ouvriers. C'est grandiose, extraordinaire ! s'exclamait Jean-Baptiste, feignant l'enthousiasme.
Mais combien ces travaux vont-ils coûter ? Une fortune, certainement ? Effectivement ! Le coût de cet énorme chantier nous paraîtra sûrement démesuré. Quoi qu'il en soit, les sommes engagées dans cette réalisation nous dépassent. Par exemple, huit cent mille francs-or approximativement pour la construction du viaduc sur l'Altier, deux fois moins onéreux que celui construit à Chamborigaud et pourtant ces sommes peuvent paraître modiques à côté des deux millions de francs-or destinés à l'achèvement du tunnel de l'Albespeyres. Eh bien ! réagissait Jean-Baptiste, abasourdi à l'énoncé de telles sommes. (Il s'accorda à cet effet un moment de réflexion, afin de remettre à l'heure dans son esprit l'horloge des valeurs :) Ce sont vraiment des fortunes colossales ! admettait-il. Cela ne m'étonne plus que notre cher député, Théophile Roussel, adresse de si chaleureux remerciements au président Louis Napoléon.
Il se saisit du journal nonchalamment posé sur la table. Tenez ! Lisez vous-même ! Là ! En première page ! insistait Jean-Baptiste en tendant la brochure à son interlocuteur. J'ai gardé scrupuleusement l'exemplaire, car il faut vous dire qu'ici intercepter une publication locale relève du même exploit que semer de l'orge sur le Mont Lozère. Le colporteur chaussa des verres épais sur son proéminent nez coloré de rose violacé et lut sans hésiter l'article à haute voix. « Courrier adressé par Théophile Roussel, député de la Lozère, au Président Louis Napoléon Bonaparte. Extrait du "Moniteur de la Lozère" Sire, en ordonnant la mise à exécution de la loi du 19 juin 1857, vous avez daigné porter les yeux sur cette contrée, intéressante mais trop souvent oubliée. En la rattachant au réseau du chemin de fer, vous lui avez donné une vie nouvelle. Chronique d’une époque. Par Serge Durie. Société des Ecrivains.
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L’histoire que je vais te raconter se déroule au début du XXe siècle, une époque où les trains étaient essentiels pour relier les régions reculées. La Translozérienne avait un tronçon qui atteignait le hameau de Larzalier, perché à 1 215 mètres d’altitude. C’était le point culminant de la ligne, mais aussi le plus problématique en hiver. Les tempêtes de neige étaient fréquentes dans cette région. En février 1903, seulement quatre mois après l’ouverture de la ligne, la circulation des trains fut interrompue vers Larzalier en raison des chutes de neige abondantes. Même la pose de 4 kilomètres de barrières pare-neige ne suffisait pas à assurer la circulation des convois hivernaux. Face à ce défi, les ingénieurs ont pris des mesures extraordinaires. Ils ont construit six galeries artificielles, creusées dans la montagne, sur une longueur totale de 1 460 mètres. Mais même cela ne suffisait pas. Entre janvier et février 1907, un seul train tenta de circuler, mais il n’atteignit jamais sa destination. Les tempêtes de neige étaient impitoyables.
Pendant l’été de la même année, trois autres galeries furent construites, portant le total à huit galeries pour une longueur cumulée de 1 563 mètres. Cette infrastructure était unique en France. Imagine ces tunnels sombres, creusés dans la roche, où les trains s’enfonçaient pour affronter la neige et le froid.Ainsi, la Translozérienne a survécu grâce à ces galeries, permettant une circulation quasi normale malgré les conditions hivernales rigoureuses. Cette histoire témoigne du courage des cheminots et de l’ingéniosité humaine face aux éléments naturels. Et chaque fois que tu voyages en train aujourd’hui, souviens-toi de ces tunnels silencieux qui ont préservé la voie ferrée dans les montagnes enneigées de la Lozère.
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, GRP® Cévenol, Montagne Ardéchoise, Margeride. De nombreux itinéraires en boucle pour des randonnées et des sorties à vélo d'une journée. Idéal pour un séjour de détente.
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