Revoir encore et toujours les Cévennes |
Quelle autre région offre au voyageur autant de beautés naturelles, autant de leçons de l'Histoire et autant de chances de paix ? - André Chamson
Nous partons de La Bastide-Puylaurent, perchée à 1016 mètres d'altitude, avec notre point de départ établi à la maison d'hôtes de L'Étoile. Philippe Papadimitriou y réserve toujours un accueil chaleureux. La bourgade, paisible sur les rives de l'Allier, s'efface lentement alors que nous empruntons les balises des GR®7 et GR®72. À l'Est, ces sentiers nous dirigeront vers l'abbaye Notre-Dame des Neiges, mais nous choisissons de l'éviter pour l'instant, préférant réserver cette découverte pour notre retour. Nous quittons donc rapidement les marques blanc et rouge pour gravir le sommet de la Felgère, à 1225 mètres. De là-haut, le panorama s'ouvre sur Luc, notre prochaine destination, tandis que le relief des étapes à venir se dévoile. Des perspectives captivantes nous attendent.
Notre parcours forestier se dirige vers l'Est, suivant presque la crête jusqu'à un véritable carrefour de sentiers. Un nouvel aperçu nous permet d’entrevoir les dernières étapes à travers les reliefs de la montagne ardéchoise, promettant à la fois des efforts intenses et de nombreux plaisirs. Nous empruntons maintenant le Tour du Tanargue, en suivant les balises jaune et rouge. Ce chemin continue de serpenté sous les hêtres du Moure de Manibles avant de descendre vers Laveyrune. Nous y croisons le GR®70, le Chemin de Stevenson, que nous suivons à rebours jusqu'à notre halte.
Un court tronçon asphalté nous fait traverser le village et la D.906, serpentant au bord de l'Allier. Nous quittons rapidement la route pour grimper vers Luc, un petit village accroché au versant de la vallée. L’endroit ne manque pas de charme : une belle église romane se dresse au cœur du hameau, tandis que les ruines d'un château médiéval dominent la colline, surplombées par une imposante statue de la Vierge. C’est ici que nous faisons une pause bien méritée sur la terrasse ensoleillée, surplombant l'Allier.
Après un repas revigorant, nous savourons une digestion tranquille dans la quiétude de la forêt de Gardille, au bord d’un charmant petit lac. Nous frôlons Les Pradels, alors que des nuages noirs s’amoncellent à l’horizon, puis nous dépassons le profond vallon du Langouyrou, où une descente rapide vers le ruisseau est suivie d'une rude montée pour atteindre la dernière colline. Nous arrivons au pittoresque village de Cheylard-l'Évêque.
Alors que des brumes légères flottent sur les crêtes des collines, un soleil encore timide fait son apparition, dissipant les souvenirs de l'orage de la veille. Peut-on vraiment se lasser de ces départs matinaux, empreints de fraîcheur et de promesses ? Nous nous lançons, le cœur léger, avide de paysages…
Cette étape annonce une longue randonnée forestière et vallonnée à travers le Moure de la Gardille et la Montagne du Goulet. De nombreuses dénivellations et de vastes horizons nous attendent.
Nous commençons par une montée agréable et douce à travers la vaste forêt de Mercoire. Le sentier, de la Vallée et des Gorges de l'Allier, se révèle discret, mais l'itinéraire est clair pour atteindre la lande de bruyères qui entoure le Moure de la Gardille, point culminant à 1503 mètres. Ce sommet voisine avec les sources de l'Allier et du Chassezac, tel un château d’eau naturel. Nous rejoignons le GR®7, dont les balises nous conduiront à l'étape suivante.
À présent, une longue descente nous permet de traverser la large plaine qui borde le Chassezac. Juste après Les Chazeaux, le gros morceau de la journée se profile : la montée vers la montagne du Goulet. Cette ultime ascension est raide, mais nous permet d'atteindre le sommet (1497 m), où nous profitons d'un moment de tranquillité en pleine forêt. Après une matinée bien remplie, l'après-midi nous offre une balade paisible sur le versant sud du Goulet. Nous dévalons tranquillement à travers le sous-bois, alors que septembre entame déjà son œuvre de déclin sur les épilobes. Devant nous se dresse le massif du Lozère, notre terrain de vagabondage pour les jours à venir. Aujourd'hui, nous descendons vers la Vallée du Lot, encore fraîche, pour rejoindre le Bleymard.
De nombreuses régions demeurent inexplorées, tant de sentiers restent inconnus. Pourtant, je ne me lasse pas d'arpenter le Massif Central, de revenir vers les espaces sauvages du Mont Lozère, d’explorer les drailles et les sentiers qui serpentent à travers les collines cévenoles.
Ce coin de France préserve son identité, son âme austère. La résistance, n'est-ce pas là la nature même des Cévenols ? Une lutte séculaire pour façonner cette terre ingrate et y survivre ; une résistance farouche face aux dragons de Louis XV, à l’occupant nazi, et à l'uniformisation du modernisme. André Chamson, dans L'Esprit des Cévennes, nous éclaire peut-être : plus que les beautés de la nature et les leçons de l'Histoire, ce qui nous est offert dans ces vallées et vallons, sur ces pentes et sommets, est une qualité de silence, une chance de paix presque introuvable de nos jours. L'esprit des Cévennes, c'est peut-être la conquête d'une sérénité intérieure, à travers les tumultes de la nature et de l'Histoire.
Je ressens un attachement profond pour les hautes terres arides des Causses et celles qui entourent le massif du Mont Lozère : un rude plateau granitique, un labyrinthe de vallées, des îlots de hameaux nichés au creux des ondulations infinies des serres. Je les ai parcourues au printemps, lorsque l’hiver déploie ses derniers soubresauts ; je me souviens d’un réveil inattendu à Barre des Cévennes, ensevelie sous un manteau de neige. J’ai également admiré l’éclat printanier des genêts et la splendeur des tapis de narcisses. Plus récemment, j’y ai découvert le déclin de l'été, alors que l’automne commence à colorer les châtaigniers d'or.
Aujourd'hui, nous entamons nos vagabondages dans le massif du Mont Lozère. Une journée suffit pour effectuer une traversée Nord-Sud, mais après l'avoir déjà réalisée, nous souhaitons explorer cette montagne étendue d'Est en Ouest. Ce matin, nous l'abordons par une approche circulaire : avec les GR®44 et GR®68, nous longeons les contreforts du Lot. Les rares hameaux se font de plus en plus rares, comme Orcières et Lozerette. Nous traversons un ravin, profond et sauvage, pour atteindre Oultet, accroché à la crête de la falaise, où quelques maisons robustes aux toits de lauzes se dressent fièrement. Mieux vaut ne pas se perdre ici par temps de brouillard ou de neige. La fin de notre étape nous conduit au versant méridional du massif. Peu après la croix commémorative du berger tragiquement transi d’amour, le sentier nous mène au hameau des Laubies. Une vieille église, une auberge accueillante, et quelques maisons nichées au pied d'un éboulis de granite. Sur la terrasse de l’auberge, nous profitons d’un apéritif face à un paysage pastoral, embrassant la pyramide du Cham des Bondons et les falaises du Causse Méjean.
Le beau temps se maintient, c’est l'été indien à son apogée. Nous reprenons donc le chemin, joyeux et légers, pour gambader sur les crêtes du Mont Lozère. Au sortir des Laubies, nous remontons le versant méridional du massif. Une brève traversée forestière nous amène à la route des Chômeurs, au pied du roc des Laubies (1562 m). Nous nous frayons un chemin à travers les pâturages, en compagnie des vaches rousses et du vent. Sous un ciel azuréen, nous marchons alors qu’une mer de brouillard engloutit la vallée du Tarn. Bientôt, nous quittons le chemin pastoral pour couper à travers champs vers le signal des Laubies (1657 m). Une sente marquée par de modestes cairns nous guide à travers les ondulations de la montagne, un parcours des plus plaisants sur l’échine bosselée du massif. Je rends grâce aux dieux du Mont Lozère qui m'ont toujours comblé de ce ciel clair.
Le sommet de Finiels (1699 m) est le point culminant du massif, un belvédère naturel dominant les vallées et les crêtes qui dessinent la physionomie tourmentée de la Lozère. Il n'est pas étonnant que ce département soit le moins peuplé de France ; il n’est pas non plus surprenant que ce désert soit un véritable paradis pour les randonneurs ! Au-delà de la bande forestière de résineux et de bouquets de feuillus, nous découvrons un univers minéral. Finiels est à quelques pas, mais le paysage y est agréablement rude et sauvage, écrasé par la chaleur. Nous faisons une pause bien méritée en bordure du hameau, au cœur d'un chaos granitique, entre blocs roulés et vestiges d'une érosion monumentale.
Le sentier s'oriente résolument vers le Sud, se faufilant entre de maigres pâturages où les vaches se dispersent parmi les rochers. Nous traversons le ruisseau de Rieumalet et nous enfonçons dans son ravin, faisant l’expérience de sa fraîcheur. Rien ne presse : l'après-midi resplendit et la fin de notre parcours est toute proche. Il ne nous reste plus qu'à dévaler jusqu’au Pont-de-Montvert, blotti sur les rives du Tarn. La bourgade semble déjà entrer dans un langoureux sommeil.
Au Pont-de-Montvert, nous sommes véritablement en terre protestante. Le temple en témoigne : son architecture austère reflète l'âme cévenole, tout comme la noblesse de la chaire sculptée dans le bois, héritage de la spiritualité des Camisards. Ni les dragons du roi ni ses galères n'ont jamais pu extirper la foi réformée de ces collines. Cette bourgade fut le berceau de la guerre des Camisards, qui ensanglanta et incendia les Cévennes au début du XVIIIe siècle.
C'est ici qu'un groupe de protestants, dirigé par Pierre, surnommé «Esprit», Séguier, assassina l'abbé du Chayla, chef de la lutte contre la foi réformée. Cependant, les troupes royales capturèrent rapidement le chef. La justice fut expéditive : Pierre Séguier fut jugé à Florac et exécuté au Pont-de-Montvert, au pied de la Tour de l’Horloge, qui garde toujours fière allure près du vieux pont.
Voici une longue et magnifique étape, l'un des sommets de notre randonnée. Elle débute pourtant par un tronçon d’asphalte, mais cette petite route tranquille, en bordure du Tarn, rend cette mise en jambes matinale agréable. Nous quittons rapidement la D.998 pour grimper vers le Merlet. Nous revenons ainsi sur les sentiers caillouteux du Mont Lozère. À Felgerolles, nous trouvons les balises du GR®72 et entamons une ascension rocailleuse à travers un chaos granitique, un décor à la fois rude et sauvage.
Sur la rive du Tarn, le paysage commence à s’ouvrir sur l’immensité désertique du versant méridional. Une flânerie tranquille au bord de la rivière, apaisée, qui s'est calmée après les chaleurs printanières. Le site du Pont du Tarn conserve tout son charme. Les belles arches romanes du vieux pont, enjambant les eaux cristallines parsemées de blocs granitiques, évoquent l’histoire paisible des transhumants qui s'arrêtaient là, à l'ombre des pins.
Nous poursuivons vers l’Est. Le GR®72 écorne la forêt avant de retrouver la lande caillouteuse où jaillissent les sources du Tarn. Le hameau de Bellecoste, en piètre condition, témoigne de l’agonie des robustes bâtisses en granite. Le massif du Lozère retourne à la tranquillité du désert. Même les troupeaux transhumants semblent se faire rares ici, mais un jeune couple s’affaire à restaurer l’une des maisons, aspirant sans doute à la solitude d'une résidence d’été. Pourtant, "une hirondelle ne fait pas le printemps" !
Le chemin carrossable serpente en contrebas du Pic Cassini (1680 m), le second sommet du massif. Nous retrouvons la forêt avant d’atteindre le Mas de la Barque (1420 m). Le gîte d’étape s’établit au cœur d'une clairière ensoleillée, invitant à déguster une blonde mousseuse. Les sandwiches, eux aussi généreux, se révèlent savoureux.
L’après-midi s’annonce tranquille : le topo-guide annonce 11 km jusqu'à Villefort (Voie Régordane GR®700 ou Chemin de St Gilles), au fond de la vallée, avec 800 mètres de dénivelé. Attention aux jugements hâtifs ! Certes, nous descendons bien dans la forêt et nous y tournicotons à nous perdre. Mais il y a aussi des montées, comme sur cette arête rocheuse menant au Bousquillou (1115 m).
Là, nous quittons enfin le couvert du sous-bois pour retrouver de larges horizons. Et quels horizons ! À l’Ouest, le Mont Lozère étend son échine au-dessus des maigres hameaux. À l’Est, la montagne ardéchoise exhibe son relief déchiqueté, promettant des jours sans ennui. Allons, nous avons déjà vu des paysages magnifiques. Goûtons le plaisir de parcourir la crête panoramique du Plo de la Voulp avant de plonger enfin vers Villefort.
La nuit promet d'être agitée : le lendemain, la bourgade organise un brevet de randonneurs. Le gîte est archicomble de joyeux marcheurs qui célèbrent leurs exploits… à l'avance.
Cette journée constitue une étape de transition entre le massif du Lozère et les Cévennes vivaraises. D'ailleurs, une partie de la matinée n'aura d'autre attrait que la quiétude des collines forestières, après la promiscuité du gîte. Dès la sortie de Villefort, le GR®44 grimpe dans la forêt et s'y attarde sans offrir la moindre échappée vers les vallées, qu’on devine à peine des deux côtés de la crête.
Soyons justes : nous profitons de l'ombre et de la fraîcheur du sous-bois, car le soleil se montre encore bienveillant. Qui pourrait s'en plaindre ? Les habitants, sans doute, accablés par de longs mois de sécheresse !
La matinée est déjà bien entamée lorsque nous quittons la forêt à la Croix de la Rousse pour aborder l’arête rocailleuse du Serre de Barre. La marche devient chaotique : nous crapahutons sur cette crête dentelée et broussailleuse. À croire que nous avons pris le maquis.
Mais quel paysage nous attend cette fois !
À droite, les serres cévenoles ondulent à l'infini vers l’Aigoual ; à l’Est, nous survolons le plateau ardéchois jusqu'à l’horizon bleuté où se profile le Ventoux. Ce fameux belvédère nous permet d’embrasser un horizon vaste ! Nous nous offrons donc un casse-croûte panoramique bien mérité.
À l’éperon méridional du Serre de Barre, nous entamons une longue descente. Le vieux sentier rocailleux, parfois bordé de murets, dégringole à travers les buissons du versant. Une pause sur la route, et nous replongeons vers Brahic, où le hameau s’assoupit dans une sieste dominicale. La fontaine bienfaisante nous appelle, et nous nous réfugions un moment dans la fraîche pénombre de la vieille église au clocher à peigne.
Il reste encore 300 mètres à dévaler dans la caillasse pour atteindre Les Vans (GR®4, GR®44 et Le Cévenol). Vignobles au pied des coteaux, platanes bordant les rues : nous voici bien dans le Midi. La bourgade savoure cette fin de week-end sur ses terrasses. Nous avons l'air un peu « masochistes » à trimbaler notre barda, mais nous nous sommes offert des plaisirs plus intenses que de siroter un pastis !
Nous commençons par nous attarder sur les rives du Chassezac, au-delà de Chambonas et son château, puis nous regagnons les collines avec le Cévenol. Gentiment d’abord, sans aucune brutalité. Nous montons légèrement par de bons chemins au caractère méditerranéen, serpentant le long d’un long ravin, traversant de sous-bois de pins, avec quelques vignobles à proximité des paisibles hameaux que nous effleurons. « Trop tard pour les vendanges ! » nous lance amicalement un agriculteur. Pourtant, quelques grappes délicieusement sucrées ont survécu.
Après Les Aliziers, le sentier se corse. Les chemins caillouteux grimpent de rudes collines boisées, tandis que nous dévalons un ravin pour remonter de plus belle. Nous enchaînons les montées pour perdre aussitôt en altitude. Dans ce jeu de montagnes russes, quand atteindrons-nous les 900 m de la corniche du Vivarais cévenol ? Nous clôturons une grosse matinée à crapahuter dans la rocaille, entre des murettes vétustes. Le crissement des feuilles de châtaignier se mêle aux heurts des cailloux.
Nous faisons notre pause méridienne à Saint-Jean-de-Pourcharesse. La placette, servant de parvis à la vieille église romane (encore un beau clocher à peigne), fera l'affaire. Pas âme qui vive. Dans la maison voisine, la radio ou la télévision couvre les occupants : nous avons beau frapper à la porte ou aux volets ; au final, pas la moindre fontaine pour faire le plein d’eau fraîche ! De cette terrasse, le paysage est plus généreux que les habitants.
L’après-midi nous réserve un dur morceau, encore une bonne partie de montagnes russes où la montée prend le pas. Le vieux sentier rocailleux nous guide à travers les collines buissonneuses. Au hameau perdu de Dépoudent (700 m), il nous reste un bon effort jusqu'aux 865 m de Peyre : le soleil de midi inonde ces collines rocailleuses, avares d’ombre. Pourtant, la beauté du paysage compense la fatigue : en descendant un sentier, nous plongeons dans le décor, découvrant la longue échine surplombant le ravin du Chassezac, un regard rétrospectif sur notre étape précédente. Et au détour d’un lacet, le minuscule hameau de Thines se révèle, terme tant espéré de cette dure journée. Cette étape marquera sans doute nos mémoires, Thines s’accrochant à un éperon rocheux, à l'aplomb d'un vertigineux ravin.
Le hameau ? Une poignée de vieilles maisons en schiste et lauzes, regroupées autour d'une église romane inattendue dans ce recoin de la Cévenne ardéchoise.
Au cœur de ces collines sauvages se dresse un chef-d'œuvre de l’architecture romane : une harmonie de formes et un appareillage subtil de matériaux, alternant pierres grises, roses et blanches en une mosaïque raffinée. Par quel miracle les hommes du Moyen Âge, au XIIe siècle, ont-ils édifié cette œuvre d’art dans une telle solitude ? Ce hameau perdu a-t-il jadis connu une activité économique d’importance pour permettre la construction de ce monument religieux ? Aujourd'hui, il perd ses bras et son âme, alors qu'Allemands et Hollandais achètent à prix d’or ces vieilles maisons, inaccessibles aux gens du cru. Les volets clos des demeures restaurées s’enfoncent dans le long sommeil des villages moribonds. Combien de fois avons-nous traversé, sur les causses, sur les pentes du Mont Lozère, dans les vallons perdus de l’Hérault ou de la Drôme, ces vestiges d'une civilisation rurale ?
Cette étape marquera sans aucun doute nos mémoires de randonneurs comme l'une des plus arrosées et tumultueuses jamais vécues. Mes souvenirs se résument à une course effrénée à travers un brouillard épais, la pluie tambourinant sur nos capes, tandis que l'orage faisait résonner sa fureur au-dessus de nos têtes. Au lieu des paysages majestueux promis par le topo-guide – ce dernier clamait fièrement des "vues magnifiques" – j'ai seulement retenu la violence des éléments, des sensations brutales, mais étrangement captivantes. Était-il raisonnable de flâner sur cette crête désolée, côtoyant les pylônes d'une ligne haute tension, les pieds trempés par un torrent de boue, cernés par le déluge et illuminés par les éclairs? Mais que pouvais-je faire d’autre dans cette solitude, avec notre gîte réservé… et cet indéfectible brin d’inconscience qui nous habite, malgré le poids des années ?
Il en faut, de la folie, pour quitter le cocon douillet et gambader ainsi sur des sentiers battus par tous les temps. Nous étions en quête d’émotions authentiques, de ces surprises que la vie moderne nous refuse. En chemin, nous avons croisé un quatuor d'imprudents, eux aussi en quête d'une fuite aquatique sous le même déluge.
Heureusement, cette étape était la plus courte du circuit. J'avais prévu un petit détour hors des sentiers battus, le chemin panoramique qui ceint le massif de Prataubériat… mais finalement, nous avons décidé de rester sur le parcours classique. Un peu fous, certes, mais pas complètement insensés ! Nous avons ainsi échappé à la furie de l'orage, bien que cela ne m'ait pas protégé d'un dernier choc électrique : me voilà, dégoulinant et aveuglé, me ruant dans une clôture électrifiée à l'entrée de Loubaresse. Une sensation plutôt marquante, je vous l’assure !
Mon regard inquiet scrutait l'horizon, en quête d'une lueur d'espoir. Le village était noyé sous le brouillard, noyé dans un cortège lugubre de nuages. Mais on a déjà vu pire, et la pluie a fini par faiblir. Ce ciel lourd où flottaient des voiles de brume enveloppait la lande du col de Prataubériat d’une atmosphère indécise, presque désolée.
Nous avons ensuite traversé une forêt, menant aux Chambons. C’est alors qu’une question s'est posée : devrions-nous emprunter le parcours de crête du GR®7 ou le GR®72, qui suit le vallon de la Borne ? Étant déjà bien gâtés en panoramas, et avec des conditions météorologiques incertaines, nous optons pour le GR®72. Un choix judicieux, car ce sentier s'est vite révélé sauvage et pittoresque.
À peine avons-nous parcouru un court tronçon d'asphalte, flanqué de buissons de mûriers – un bel écrin masquant un précipice profond – que le sentier caillouteux s’est mis à serpenter le long du ravin. En bas, la Borne grondait, tumultueuse, gonflée par le déluge de la veille. Les lacets descendaient dans le canyon, offrant des vues spectaculaires sur le torrent. Même une ruine de tour s’ajoutait à la scène, ajoutant un soupçon de romantisme au décor. Le hameau de Borne, quant à lui, ne faisait que prolonger cette atmosphère. Il y régnait une poignée de maisons et quelques vestiges, témoins d’un passé que l'on devinait glorieux. Un superbe porche en granit, orné d’un mot énigmatique et d’une date vénérable, « 1667 », rappelait ces temps révolus.
Le sentier s’enfonçait sous un couvert de verdure, franchissant à gué de petits ruisseaux, affluents de la Borne, avant d’atteindre les maisons en ruine de Conches. J'ai appris, lors de notre prochaine halte, qu'une vieille dame s'accrochait à ces ruines jusqu’à sa mort récente. Mais de quoi parvenaient donc à vivre ces âmes égarées, perdues dans cet environnement rocheux et sauvage ? Pendant que notre société opulente s'affole pour des broutilles financières, ces habitants menaient probablement une existence rudimentaire, laborieuse, arrachée à la nature. Les sentiers qui nous offrent un dépaysement parfois spectaculaire, nous plongent aussi dans l’histoire de ces hommes, pour notre réflexion… et peut-être notre sagesse ?
Puis, le chemin nous a éloignés du ravin de la Borne, reprenant soudain de l’altitude avant de chuter vers Saint-Laurent-les-Bains. Joli bourg, avec sa petite église aux vitraux modernes éclatants. Ici, les curistes se précipitent pour profiter des vertus des sources thermales, dont l’eau, jaillissante à 53°C, est miraculeuse contre les rhumatismes. Nous n’en sommes pas encore à ces médecines, préférant un adage bien connu : « Un jour de sentier, … ». Rapidement, en sortant du bourg, nous avons affronté une dénivelée de 350 mètres pour dominer la haute tour de Saint-Laurent et atteindre la croix du Pal. Nous avons avancé à un rythme soutenu, car l'orage grondait et le ciel s'assombrissait encore davantage.
En dévalant le vallon du Rieufrais, nous avons atteint l'abbaye Notre-Dame-des-Neiges juste avant que les premières gouttes ne commencent à tomber.
Fondée au XIXe siècle par des trappistes cisterciens, elle a été reconstruit après un incendie en 1912. C'est ici que Robert Louis Stevenson fit étape lors de son périple à travers les Cévennes. Mais c'est sans doute Charles de Foucault qui a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de cette abbaye. Après son noviciat, il y a été ordonné prêtre avant d'embarquer pour le Sahara. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la communauté a même abrité des clandestins, dont Robert Schuman. Aujourd'hui, les moines cultivent la vigne et produisent un vin de table très correct, à partir des raisins du Midi.
Nous ne pouvions pas traîner à la trappe : la pluie ne s’annonce pas comme une passagère. C'était juste la "queue" de l’orage, et il nous restait trois bons kilomètres pour boucler notre ultime étape. En un éclair, nous avons filé dans le vallon du Rieufrais. L’Etoile nous attendait, toujours accueillante et confortable. Philippe Papadimitriou serait ravi de nous mener à la Trappe pour une dégustation des vins soigneusement élaborés. Un joyeux couronnement pour notre aventure cévenole! Christian Lalanne
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, GRP® Cévenol, Montagne Ardéchoise, Margeride. De nombreux itinéraires en boucle pour des randonnées et des sorties à vélo d'une journée. Idéal pour un séjour de détente.
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