Après le Mont Lozère, Stevenson découvre Le Pont de Montvert sur les bords du Tarn avant de se diriger vers Florac en suivant l'actuel Chemin Stevenson GR®70 |
Ce sont les Cévennes par excellence : les Cévennes des Cévennes. Dans ce labyrinthe inextricable de montagnes, une guerre de bandits, une guerre de bêtes féroces, fit rage pendant deux années entre le Grand Roi avec toutes ses troupes et ses maréchaux, d’une part, et quelques milliers de montagnards protestants, d’autre part. Il y a cent quatre-vingts ans, les Camisards tenaient un poste là même, sur les monts Lozère où je suis. Ils avaient une organisation, des arsenaux, une hiérarchie militaire et religieuse. Leurs affaires faisaient « le sujet de toutes les conversations des cafés » de Londres. L’Angleterre envoyait des flottes les soutenir. Leurs meneurs prophétisaient et massacraient. Derrière des bannières et des tambours, au chant de vieux psaumes français, leurs bandes affrontaient parfois la lumière du jour, marchaient à l’assaut de cités ceintes de remparts et mettaient en fuite les généraux du roi. Et parfois, de nuit, ou masquées, elles occupaient des châteaux-forts et tiraient vengeance de la trahison de leurs alliés ou exerçaient de cruelles représailles sur leurs ennemis. Là était établi, il y a cent quatre-vingts ans, le chevaleresque Roland, « le comte et seigneur Roland, généralissime des protestants de France », sévère, taciturne, autoritaire, ex-dragon, troué de petite vérole, qu’une femme suivait par amour dans ses allées et venues vagabondes.
Il y avait Cavalier, un garçon boulanger doué du génie de la guerre, nommé brigadier des Camisards à seize ans, pour mourir, à cinquante-cinq, gouverneur anglais de Jersey. Il y avait encore Castanet, un chef partisan, sous sa volumineuse perruque et passionné de controverse théologique. Étranges généraux qui se retiraient à l’écart pour tenir conseil avec le Dieu des armées et refuser ou accepter le combat, posaient des sentinelles ou dormaient dans un bivouac sans gardiens, selon que l’Esprit inspirait leur cœur. Et il y avait pour les suivre, ainsi que d’autres meneurs, des ribambelles et des kyrielles de prophètes et de disciples, hardis, patients, infatigables, braves à courir dans les montagnes, charmant leur rude existence avec des psaumes, prompts au combat, prompts à la prière, écoutant pieusement les oracles d’enfants à demi fous et qui déposaient mystiquement un grain de blé parmi les balles d’étain avec lesquelles ils chargeaient leurs mousquets.
J’avais voyagé jusqu’à ce moment dans une morne région et dans un sillage où il n’y avait rien de plus remarquable que la Bête du Gévaudan, Bonaparte des loups, dévoratrice d’enfants. Maintenant, j’allais aborder un chapitre romantique – ou plus justement une note romantique en bas de page – de l’histoire universelle. Que restait-il de toute cette poussière et de tous ces héroïsmes surannés ? On m’avait assuré que le Protestantisme survivait toujours dans ce quartier général de la résistance huguenote. Bien mieux, même un prêtre me l’avait affirmé dans le parloir d’un couvent. Il me restait toutefois à connaître s’il s’agissait d’une survivance ou d’une tradition féconde et vivace. En outre, si dans les Cévennes septentrionales, les gens étaient stricts en opinions religieuses et plus remplis de zèle que de charité, qu’avais-je à attendre de ces champs de persécutions et de représailles ? – dans cette contrée où la tyrannie de l’Église avait provoqué la révolte des Camisards et la terreur des Camisards jeté la paysannerie catholique dans une rébellion légale du côté opposé, en sorte que Camisards et Florentins se tenaient cachés dans les montagnes pour sauver leur vie, les uns et les autres.
Juste au faîte du mont où j’avais fait halte pour inspecter l’horizon devant moi, la série de bornes en pierre cessa brusquement et seulement un peu en dessous, une sorte de piste apparut qui dévalait en spirale une pente à se rompre le cou, tournant comme tire-bouchon. Elle conduisait dans une vallée entre des collines déclives, aux éteules de roc comme un champ de blé moissonné et, vers la base, recouvertes d’un tapis de prés verdoyants. Je me hâtais de suivre la sente : la nature escarpée du versant, les continuels et brusques lacets de la ligne de descente et le vieil espoir invincible de trouver quelque chose de nouveau dans une région nouvelle, tout conspirait à me donner des ailes. Encore un peu plus bas et un ruisseau commença, réunissant lui-même plusieurs sources et menant bientôt joyeux tapage parmi les montagnes. Parfois, il voulait traverser la piste dans un semblant de cascade, avec un radier, où Modestine se rafraîchissait les sabots.
La descente entière fut pour moi comme un rêve, tant elle s’accomplit rapidement. J’avais à peine quitté le sommet que déjà la vallée s’était refermée autour de ma sente et le soleil tombait d’aplomb sur moi, qui marchais dans une atmosphère stagnante de bas-fonds. Le sentier devint une route. Elle descendit et remonta en molles ondulations. Je dépassai une cabane, puis une autre cabane, mais tout semblait à l’abandon. Je n’aperçus pas une créature humaine ni n’entendis aucun bruit, sauf celui du ruisselet. Je me trouvais pourtant, depuis la veille, dans une autre région. Le squelette pierreux du monde était ici vigoureusement en relief exposé au soleil et aux intempéries. Les pentes étaient escarpées et variables. Des chênes s’accrochaient aux montagnes, solides, feuillus et touchés par l’automne de couleurs vives et lumineuses. Ici ou là, quelque ruisseau cascadait à droite ou à gauche jusqu’au bas d’un ravin aux roches rondes, blanches comme neige et chaotiques.
Au fond, la rivière (car c’était vite devenue une rivière collectant les eaux de tous côtés, tandis qu’elle suivait son cours) ici un moment écumant dans des rapides désespérés, là formant des étangs du vert marin le plus délicieux taché de brun liquide. Aussi loin que j’étais allé, je n’avais jamais vu une rivière d’une nuance à ce point délicate et changeante. Le cristal n’était pas plus transparent ; les prairies n’étaient pas à demi aussi vertes et, à chaque étang rencontré, je sentais une envie frémissante de me débarrasser de ces vêtements aux tissus chauds et poussiéreux et de baigner mon corps nu dans l’air et l’eau de la montagne. Tout le temps que je vivrai, je n’oublierai jamais que c’était un dimanche. La quiétude était un perpétuel « souvenez-vous » et j’entendais en imagination les cloches des églises sonner à toutes volées sur l’Europe entière et la psalmodie de milliers d’églises.
À la fin, un bruit humain frappa mon oreille – un cri bizarrement modulé, entre l’émotion et la moquerie, et mon regard traversant la vallée aperçut un gamin assis dans un pré, les mains encerclant les genoux, rapetissé par l’éloignement jusqu’à une infimité comique. Le petit drôle m’avait repéré alors que je descendais la route, de bois de chênes à bois de chênes remorquant Modestine et il m’adressait les compliments de la nouvelle région par ce trémulant bonjour à l’aigu. Et comme tous bruits sont agréables et naturels à distance suffisante, celui-ci également qui me parvenait à travers l’air très pur de la montagne et franchissait toute la verte vallée, retentissait délicieux à mon oreille et semblait un être rustique comme les chênes et la rivière.
Peu après le ruisseau que je longeais se jeta dans le Tarn, à Pont-de-Montvert, de sanglante mémoire.
Le Chemin Stevenson vient du Bleymard par le
Mont Lozère et redescend sur le Pont de Montvert avant de se diriger vers
Florac.
"Une des premières choses rencontrées à Pont-de-Montvert, si je me souviens
bien, fut le temple protestant. Mais ce n'était que le présage d'autres
nouveautés. Une subtile atmosphère distingue une ville d'Angleterre d'une ville
de France ou même d'Écosse. A Carlisle, vous pouvez vous apercevoir que vous
êtes dans une certaine région. A Dumfries, à trente milles plus loin, vous êtes
non moins certain d'être dans une autre encore. Il me serait difficile
d'exprimer par quelles particularités Pont de Montvert se distingue du Monastier sur
Gazeille ou de Langogne, voire de Bleymard.
Mais la différence existait et parlait éloquemment aux yeux. La localité, avec
ses maisons, ses sentiers, son lit de rivière éblouissant porte un cachet
méridional indéfinissable.
Tout était agitation dominicale dans les rues et dans les cafés comme tout avait été paix dominicale dans la montagne. Il devait y avoir au moins une vingtaine de personnes pour déjeuner vers onze heures avant midi.
Quand je me fus restauré et assis pour mettre à jour mon journal, je suppose que plusieurs encore survinrent, l'un après l'autre, ou par groupes de deux ou trois. En traversant les monts Lozère, non seulement j'étais arrivé parmi des visages bien entendu nouveaux, mais j'évoluais sur le territoire d'une race différente. Ces gens, tandis qu'ils dépêchaient en vitesse leurs viandes dans un inextricable jeu d'épée de leurs couteaux, me questionnaient et me répondaient avec un degré d'intelligence qui dépassait tout ce que j'avais jusqu'alors rencontré, excepté parmi les ouvriers de la voie ferrée à Chasseradès. Ils avaient des visages disant la franchise. Ils étaient vifs ensemble de propos et de manières. Ils n'entraient pas seulement dans l'esprit total de mon excursion, mais plus d'un l'assura, s'il avait été assez fortuné, il eût aimé partir pour entre- prendre pareil tour.
Même physiquement la transformation était plaisante. Je n'avais plus vu une jolie femme depuis que j'avais quitté le Monastier, et là, une seulement.
Maintenant, des trois qui étaient assises en ma compagnie au dîner, une n'était certes point belle, - une pauvre créature timide d'une quarantaine d'années, tout à fait troublée par ce brouhaha de table d'hôte et dont je fus le chevalier servant et que je servis jusqu'au vin y compris et que je poussais à boire, m'efforçant généralement de l'encourager. Avec un résultat d'ailleurs exactement contraire. Mais les deux autres, toutes deux mariées, étaient toutes deux plus distinguées que la moyenne des femmes.
Et Clarisse ? Que dire de Clarisse ? Elle servait à table avec une lourdeur impassible et nonchalante qui avait quelque chose de bovin. Ses immenses yeux grisâtres étaient noyés de langueur amoureuse. Ses traits, quoique un peu empâtés, étaient d'un dessin original et fin. Ses lèvres avaient une courbe de dédain. Ses narines dénonçaient une fierté cérémonieuse. Ses joues descendaient en contours bizarres et typiques. Elle avait une physionomie capable de profonde émotion et, avec de l'entraînement, offrait la promesse de sentiments délicats. Il semblait déplorable de voir un aussi excellent modèle abandonné aux admirations locales et à des façons de penser locales.
Une route neuve conduit de Pont de Montvert à Florac, par la vallée du Tarn. Son assise de sable doux se développe environ à mi-chemin entre le faîte des monts et la rivière au fond de la vallée. Et j'entrais pour en sortir, alternativement, sous des golfes d'ombres et des promontoires ensoleillés par l'après-midi.
C'était une passe analogue à celle de Killiecrankie, un ravin profond en entonnoir dans les montagnes, avec le Tarn menant un grondement merveilleusement sauvage, là-bas, en dessous, et des hauteurs escarpées dans la lumière du soleil, là-haut, au-dessus. Une étroite bordure de frênes cerclait la cime des monts comme du lierre sur des ruines.
Sur les versants inférieurs et au-delà de chaque gorge, des châtaigniers, par groupes de quatre, montaient jusqu'au ciel sous leur feuillage épandu. Certains étaient implantés chacun sur une terrasse individuelle pas plus large qu'un lit; d'autres, confiants en leurs racines, trouvaient moyen de croître, de se développer, de rester debout et touffus sur les pentes ardues de la vallée.
D'autres, sur les bords de la rivière, restaient rangés en bataille et puissants comme les cèdres du Liban. Pourtant là même où ils croissaient en masse serrée, ils ne faisaient point penser à un bois, mais à une troupe d'athlètes. Et le dôme de chacun de ces arbres s'étalait, isolé et vaste d'entre les dômes de ses compagnons, comme s'il avait été lui-même une petite éminence. Ils dégageaient un parfum d'une douceur légère qui errait dans l'air de l'après-midi." De "Voyage avec un âne dans les Cévennes"
Ancien hôtel de villégiature avec un grand jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), Cévenol, GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, Montagne Ardéchoise, Margeride et des randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente.
Copyright©gr-infos.com