Quittant Chasseradès et la montagne du Goulet, Eric Poindron traverse les Alpiers pour arriver au Bleymard et le Lot avant gravir le Mont Lozère en direction du Pont-de-Montvert en suivant le Chemin Stevenson. |
Sans soleil, Le Bleymard est un village austère aux toits de lauzes et aux murs gris. Deux cents habitants environ cherchent à s'y occuper. On cultive, on pratique l'élevage, on patiente. Quelques pas à l'intérieur de la bourgade somnolente dévoilent ses maisons et ses ruelles au charme vieillot et camouflé. En face, la montagne ! Le plus haut sommet des Cévennes - mille six cent quatre-vingt-dix-neuf mètres - attend et défie les marcheurs. Avant la nuit, il faut gagner le gîte d'étape à l'orée de la montagne. Demain, nous la gravirons jusqu' au sommet. Plus haut peut-être... En matière d'altitude, on ne sait jamais. L'estomac est dans les talons et la faim justifie bien des choses... Le Lozère, comme on le surnomme ici, n'est pas une montagne. C'est quelqu'un, c'est Le Lozère, la montagne de la rédemption, la montagne folle, la montagne qui emmène vers les voies du Sud. Là où tout bascule et où les eaux se séparent, s'échappent.
Au coeur de l'après-midi, nous faisons une halte de guerre lasse dans un café pour nous réchauffer. Une serveuse accorte nous propose un vin chaud et un sanglier empaillé y fume la bouffarde. La patronne essuie les verres. Le silence augmente l'écho d'une mobylette. À grand bruit... Une petite mamie. Sirote une tisane et répète plusieurs fois : - On n'y voit pas clair dans votre bar! La patronne, occupée à essuyer ses verres, marmonne quelques mots incompréhensibles mais n'allume pas. - On ne voit pas clair dans votre bar l
Réponse : - Voir quoi, c'est toujours les mêmes !
Un vieux monsieur aux vêtements usés, à l'oeil pétillant, entre dans la salle en triomphe. Il agite un panier garni et claironne... - J' ai trouvé quarante beaux cèpes ! La patronne lâche son torchon, lui jette un regard de feu en nous désignant du menton . - Baptiste, taisez-vous! Le Baptiste change de couleur et de ton. Il n'a pas trouvé de champignons, il n'est pas là, il n'a rien vu. D'ailleurs il n'a rien dit. Comme un enfant avant le pensum. Il s'approche du zinc, s'avale un calva le temps de le dire, reprend son souffle et la conversation en patois! Le sanglier empaillé suit l'échange yeux de verre et ne pipe mot. Nous dérangeons, c'est le moment de décamper.
Quinze heures.
Village désert... Seul présence, un balayeur et quelques sons de cloches.
- Ne quittez pas le village sans voir le poète... C'est le balayeur qui désigne du doigt, de l'autre côté de la ruelle, une porte cochère mouchetée de mots étranges... Des écritures de toutes tailles sur papiers bleus, jaunes ou verts, et des articles de journaux régionaux célébrant la gloire du poète... j' attends mon amie / l' amour de mon enfance / mon seul souci de ma vie et de mourir sans souffrance / Quittant où le soleil luit, / pour vivre dans l'espérance." Dessous, une main anonyme et mal intentionnée a écrit: l'école pour les fautes...". Plus bas, le poète a répondu: "J'ai jamais eu d'argent mais j'étais toujours content...".
La porte est un café du commerce à elle seule. Poèmes hallucinés et réponses vindicatives s'y mêlent. Le poète aborde les genres dans le plus grand désordre : la guerre - "qu'il faut cesser au plus vite" -, les fleurs, l'amour - "il ne faut jamais faire pleurer les femmes parce que c'est Dieu qui nous les a envoyées " -, le général de Gaulle, la conquête de l'espace et le nouveau président de la République, couvert d'éloges.
Au premier étage, le visage du poète apparaît. C'est le Baptiste aux cèpes du café... - Vous aimez la poésie, je descends... Le poète semble guetter les admirateurs et la grande porte s'ouvre presque aussi sec. - Entrez... Je vous offre une chicorée ?
Au milieu des coqs en plâtre, des pendules sans aiguilles et des peintures maison, Baptiste toussote et se présente .
- Je suis né en 1910 à quatre heures du matin, alors quand je réveille les gens à quatre heures du matin, j'ai le droit... C'est mon heure'.
Inutile de questionner le noctambule, il dresse seul son CV. Sa femme d'abord, une modiste, belle comme l'aurore, qui fabriquait des carrière ensuite... Bougnat à Paris, puis mineur au Mazel-du-Bleymard, dans les mines argentifères -"ici la terre est une vraie bijouterie" -, enfin cueilleur de fleurs professionnel...
- J'ai travaillé pour les parfumeries de Grasse. Au début, on me prenait pour un bon à rien... Quand ils ont vu que ça rapportait, le Mont Lozère s'est couvert de feignants... C'est pour ça qu'ils ont fermé la mine du Mazel. J'ai tout cueilli, des gratte-culs, des airelles, des pieds-de-chats, de l'arnica... Beaucoup pour les parfumeries et un peu pour moi, pour guérir...
Ici tout le monde est un peu sorcier, par la force des choses, mais les véritables, ceux qui ont vraiment le don, ils le tiennent d'un aîné, un oncle ou un grand-père. Mais attention, interdit de monnayer son don, sinon il fiche le camp. Ici, il faut se serrer les coudes: si tu guéris ma bête je t'aiderai pour les foins... Une sorte de troc. À l'occasion, on peut accepterune bouteille de vin ou un mouton quand il s'agit d'un miracle, mais jamais plus. Pas d'argent surtout... J'ai connu un guérisseur qui acceptait l'argent, ça ne lui a pas porté chance...
Les charmants vieux messieurs - Baptiste et les autres - ponctuent le voyage comme les bornes ou les nuages. Malgré leur bonhomie, on lit beaucoup d'ennui dans le regard des survivants. La chanson ne diffère jamais. On se plaint, on se souvient, on maudit le temps d'aujourd'hui. revient sans cesse, à propos de n'importe quelle époque. Quand les jeunes gens se préoccupent de leurs mobylettes, les passants âgés, croisés le long de la route, nous interpellent pour nous raconter. Nous écoutons leurs histoires et répondons invariablement au même questionnaire: d'où venons-nous ?. Où allons-nous ?. Quelles sont nos motivations ?
Et toujours cette note d'espoir: est-ce que nous reviendrons ? Facteurs, poètes ou garde-forestiers, tous racontent leur vie, et viennent s'asseoir à nos côtés le temps "d'un brin de conversation", entre curiosité et passe-temps... Parfois, on nous indique une grange ou un raccourci.
Parfois, on nous offre un peu de tabac gris ou un couvert - enfin, une fois. Toujours la rencontre de passage s'étonne de nos curiosités mal placées - qu'est-ce que ça peut vous faire les arbres, les plantes, les histoires du passé ? Durant les échanges cordiaux, une équipe de nuages en attend une autre, et tout ce petit monde décide d' occuper le ciel, surplombant l'ensemble des vallées. On meurt d' ennui dans les cuvettes... Extrait de "Belles étoiles" GR®70 Avec Stevenson au Bleymard dans les Cévennes, par Eric Poindron, collection Gulliver, dirigée par Michel Le Bris, Flammarion.
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), Cévenol, GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, Montagne Ardéchoise, Margeride et des randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente.
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