La Bastide-Puylaurent en Lozère

Transhumance en Vivarais depuis Saint-Ambroix et les Vans vers les hauteurs du Tanargue par Montselgues, Loubaresse et Le Bez en Ardèche (Auvergne-Rhône-Alpes).

 

Transhumance en Vivarais

Transhumance en Vivarais

Transhumance en Vivarais 1Chambons doit régler le passage des transhumants à travers la forêt de Bauzon qui lui appartient. Quelques rares documents du XVe siècle nous montrent les paysans du bas pays estivant leurs moutons sur les hauts plateaux. A partir du XVIe siècle, les documents se multiplient pour affirmer le rôle considérable des transhumances paysannes : les troupeaux des paroisses des plateaux bas vivarois (Chandolas, Saint-Alban-sous-Sampzon, etc...) ou de la basse Cévenne (Joannas, Lablachère, etc...) montent l'été dans la région de Saint-Etienne-de-Lugdarès ; ceux de Jaujac, en pleine Cévenne, vont estiver vers La Chapelle-Grailhouse. Ces mouvements se sont amplifiés à l'époque moderne, d'une part parce que les troupeaux monastiques durent s'effilocher sérieusement après la guerre de Cent ans qui amena le déclin des monastères, parachevé par les guerres de religion, si bien qu'au XVIIIe siècle l'abbaye de Mazan n'avait plus que 800 moutons, et d'autre part parce que les monastères renoncèrent à l'exploitation directe : en 1781, Mazan accueille des troupeaux étrangers moyennant redevance.

Au début du XIX° siècle, les troupeaux étrangers viennent en quantité telle sur les hauts plateaux qu'ils inquiètent les montagnards : sous l'Empire, aux Sagnes comme à Cros-de-Géorand, les maires se plaignent de ces troupeaux étrangers trop nombreux qui dévorent toute l'herbe et même les genêts indispensables à la couverture des maisons. C'est qu'à cette époque commencent à arriver des troupeaux du Gard hivernant entre Alès et Nîmes et même du Vaucluse (Monteux) qui renforcent la classique transhumance vivaroise. La première partie du XIXe apogé du peuplement rural, fut aussi, à coup sûr, l'apogée de la transhumance ovine qui, chaque été, poussait vers les hauts plateaux la plus grande partie des animaux des vallées cévenoles de l'Ardèche, du Lignon, de la Beaume, de la Drobie et des plateaux calcaires plus orientaux, outre les gros contingents du Gard et du Vaucluse. Ainsi, la petite commune de Loubaresse, sur ses 900 hectares, accueillait en 1840, 1 700 moutons étrangers, qui s'ajoutaient aux 500 indigènes pour les 3 à 4 mois de la belle saison. Il est difficile néanmoins de connaître le nombre exact des animaux estivés à cette époque : certains textes indiquent plus de 100000 têtes, et cela n'a rien d'impossible, puisque les landes pouvaient héberger 3 à 4 têtes à l'hectare. Au demeurant, il faut encore ajouter 40000 ouailles indigènes.

Transhumance en Vivarais 2Tous les hauts plateaux étaient plus ou moins concernés. Sur le plateau de Saint-Agrève, déjà très septentrionnal, seule la commune de Devesset était touchée, à cause des anciennes possessions des Hospitaliers : la tradition se conserva après la Révolution, puisqu'en 1837, Devesset accueillait plus de 3 000 ovins, venus en grande partie de la Provence. Les environs du Mézenc, de Mézilhac aux Estables et à la Loire naissante en accueillaient aussi beaucoup, comme le signalent des documents du XVIIIe siècle, et ils venaient de loin, du Gard et du Vaucluse. Cependant, c'est plus au sud, entre la Loire et l'Allier, que de tout temps, autour des hauteurs du Tanargue, se trouve le royaume estival des transhumants. Là, en effet, ondulent les vastes landes herbeuses propices aux ovins, et dont la plus grande partie est demeurée biens des hameaux, aisés à louer aux bergers étrangers. Les communautés montagnardes vivaient principalement de la culture du seigle, associée à un modeste élevage de bêtes à cornes et à laine, mais l'impossibilité de nourrir un abondant cheptel l'hiver, faute de prés de fauche, interdisait de posséder de gros effectifs lainiers, capables de profiter de la surabondance de l'herbe estivale. Or, les moutons en surnombre étaient d'autant plus appréciés qu'ils pouvaient apporter une fumure indispensable aux champs de seigle, suivant des modalités soigneusement établies.

Transhumance en Vivarais 3C'est au XIXe siècle, en raison de l'abondance de la documentation, que l'on peut le mieux connaître la vie des transhumants et leur insertion dans le système économique et social des hauts plateaux vivarois, mais la situation analysée devait peu différer des siècles antérieurs, tant ce mode d'élevage repose sur des usages immémoriaux. Simple différence, formelle d'ailleurs : les troupeaux appartiennent tous à des gens du bas pays, alors qu'autrefois d'immenses escouades étaient la propriété des moines des hautes terres. Les effectifs désormais sont petits : 200 à 500 têtes par troupeau, et ils sont à des paysans, non à des spécialistes. Deux façons de procéder. La première consiste à grouper les animaux d'un village ou même de plusieurs pour former la « parjade » ou troupeau de transhumance, sous la conduite d'un berger désigné par la communauté : c'est le système du berger commun appliqué à l'estivage, qui est la règle dans les cantons de Joyeuse et de Valgorge. Dans le second cas, c'est un entrepreneur d'estivage qui se charge, moyennant une rétribution, d'emmener les bêtes qu'on lui a confiées : ainsi, dans le canton de Thueyts, les bêtes sont marquées au départ et le berger reçoit de chacun un prix convenu pour l'été et c'était déjà la règle au XVIIe siècle.

Transhumance en Vivarais 4Le départ avait lieu dans la première quinzaine de juin et le retour dans la première quinzaine de septembre, si bien que le séjour en montagne durait une centaine de jours. Les voyages s'effectuaient le long des pistes immémoriales, les fameuses drailles, larges chemins de 12 à 20 m de large, vrais couloirs à troupeaux. Il y en avait trois principales : celle qui menait de Saint-Ambroix et des Vans vers les hauteurs du Tanargue par Montselgues, Loubaresse, Le Bez ; celle qui empruntait la vallée de l'Ardèche et le col de la Chavade ; enfin celle qui, partant des plateaux bas-vivarois, grimpait à Saint-Laurent-en-Coiron, le col de l'Escrinet, pour-suivait jusqu'au Gerbier et au Mézenc. C'est ce chemin qu'en 1337 empruntent les moutons de Mazan allant des granges de Berg à Montlaur, ce qui nécessita un accord avec le seigneur de Montlaur pour régler le droit de pulvérage. Et, en 1905, on vit encore passer 6 000 ovins en 28 parjades, bel exemple de pérennité.

C'était, à coup sûr, un spectacle coloré et bruyant qui se déroulait en juin et en septembre, le long de ces chemins millénaires. Mais il a été souvent décrit. Nous dirons seulement que le bélier, chef du troupeau, portait, enchassés dans son collier, des pierres fétiches destinées à préserver les bêtes des maladies et des maléfices, car ce « peyrassou » apparaît comme le témoignage de l'antiquité des usages pastoraux liés à la transhumance. En tout cas, la vie à la montagne obéissait à un certain nombre de règles précises et souvent codifiées dans des contrats, concernant l'utilisation des pâturages. Sauf, en effet, le cas des troupeaux monastiques, les bergers ne possédaient rien sur les hauteurs. Il fallait donc louer les terrains. Vers le Tanargue, au milieu du XIX' siècle, le prix de location des communaux s'établissait sur la base de 5 francs l'hectare à raison de 3 à 4 moutons par hectare. Dans certains cas, la redevance pouvait être plus faible. Ainsi, sur le domaine de Villevieille, ancienne ferme des Chartreux aux abords du Mézenc, on recevait 1 000 à 1 500 moutons pendant trois mois pour quelques sols seulement par tête, car ces ovins broutaient les refus des bêtes à cornes et assuraient la fumure des prés. De même, en 1862, tous les herbages communs de La Chapelle Grailhouse furent affermés à un berger de Jaujac qui y amenait 400 brebis moyennant seulement la fumure des terres des particuliers et la garde de 100 bêtes à laine locales. En revanche, les habitants nourrissaient le berger et ses chiens.

Transhumance en Vivarais 5La coutume la plus remarquable était celle des nuits de fumature, attestée dès le XIIIe siècle, et encore en vigueur au XXe, comme le montre un procès de 1923 opposant des habitants du hameau de Masméjan (commune de Saint-Etienne de Lugdarès) au sujet de la répartition du produit de ces nuits de fumature, qui découlait d'un acte de l'abbaye des Chambons du 17 mai 1457. Les moutons devaient coucher la nuit dans des parcs sur les champs en jachère des particuliers, qui payaient à cet effet une redevance au berger, passant la nuit dans une cabane sommaire, appelée la "chabotte". Ainsi existait une étroite symbiose entre la vie pastorale étrangère et l'agriculture montagnarde.

Transhumance en Vivarais 6La transhumance entre en décadence après 1870, car les conditions économiques ont évolué. A Devesset, la vente des communaux nuisit aux transhumants qui, de plus de 3 000 à la fin du XVIIIe siècle, s'amenuisent à 500-600 un siècle plus tard, pour disparaître dès avant 1914. A Loubaresse, le reboisement par les Eaux et Forêts, après 1877, porte un coup mortel à la transhumance. Surtout la culture du seigle est en grand déclin et la fumure par les moutons étrangers n'a plus d'intérêt. Dans les bas pays, pour diverses raisons, les troupeaux de moutons disparaissent. Au début du XX• siècle, la transhumance avait certainement décru de moitié, ne portant plus guère que sur 40 000 à 50 000 têtes. Vers 1930, on n'en comptait plus guère que 20 000, essentiellement concentrées autour de Tanargue. Vingt ans plus tard, ne viennent plus guère qu'une douzaine de troupeaux gardois, un peu plus de 3 000 moutons. Depuis, la transhumance sur les hauts plateaux vivarois a totalement disparu. De ce survol de 7 siècles de la transhumance sur cette bordure orientale du Massif Central, on peut dégager quelques conclusions.

La transhumance est liée d'une part à la prépondérance agricole de la montagne vivaroise (ou accessoirement à l'élevage bovin autour du Mézenc) et d'autre part à l'abondance des landes, dont les paysans ne pouvaient guère tirer parti, ne sachant que faire de leurs moutons l'hiver. La transhumance leur fournissait de l'engrais à bon compte. C'est là un phénomène particulier au Massif Central et qu'on ne retrouve pas dans les montagnes riches en alpages comme les Alpes. Elle a atteint ici sa pointe extrême vers le nord, à Devesset, car, à cause de l'ouverture rhodanienne, les conditions méditerranéennes remontent vers le nord, jusqu'au Coiron, et le relèvement du Massif Central, ici maximum, offre, à très peu de distance, des pâturages d'altitude. Au Moyen Age, les monastères implantés sur les hauteurs organisent une transhumance descendante à court rayon qui durera, en s'amenuisant, jusqu'à la Révolution. Mais elle côtoie une transhumance ascendante de petits troupeaux paysans. Celle-ci prend le dessus dès le début des Temps Modernes, en raison à la fois de la décadence monastique et de la croissance démographique qui s'accélère au XVIIIe siècle.

 

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