De l'Auvergne au Languedoc avec Flora Berger en suivant le chemin Stevenson GR®70. Etape de Langogne au Cheylard-l'Evêque par la Forêt de Mercoire dans le Gévaudan. |
Un bon petit-déjeuner, ce peut-être un remède contre une nuit médiocre, cela a le don de réveiller vos sens et de vous donner du courage. D'ailleurs, les gîtes accueillent les randonneurs, savent prévoir le juste combustible qui fera avancer la machine. C'est pourquoi ce matin, Philippe a même pressé "pour de vrai" des oranges et déposé sur notre table du miel et des confitures de qualité. Nous étions levées à sept heures dix: l'horloge interne semble fonctionner quelles que soient la durée et la qualité du sommeil.
Le temps de "jouer notre grand jeu" et nous partirons à 9 heures. Court cheminement dans la ville qu'une fois de plus on ne découvrira pas. Et pourtant, Langogne serait à même de nous offrir d'intéressants coups d'oeil. Nous passons tout de même auprès de la halle, qui est classée monument historique. Elle fut construite en 1743, à une époque où se faisaient toutes sortes de transactions autour du grain. Aujourd'hui encore, elle accueille marchés et fêtes traditionnelles. Bientôt, par les allées encore citadines mais déjà bordées de grandes herbes, nous laissons brouter les "kikis". Ils ont forcément envie de verdure et ils y ont bien droit. Plus tard, nous les reprendrons en main. Aujourd'hui, nous avons le temps.
Peu à peu, nous nous engageons dans la forêt. Cette étape, très boisée, nous réjouira le coeur. L'un des tronçons les plus agréables, sous de tendres ramures longeant un petit cours d'eau, aboutit à un pont qui hélas, nous remet sur la route, celle de Monteils. Dommage car il n'est pas loin de midi, il fait chaud et nous devons, bon gré mal gré, attaquer une côte.
Mais voici déjà le village de Saint-Flour-de-Mercoire et sa généreuse fontaine. Nous sommes partis il y a déjà trois heures.. Le balisage, depuis que
nous sommes entrés dans le Gévaudan (en traversant l'Allier à Langogne), est de bien
meilleure qualité.
À présent, les fontaines-abreuvoirs des villages vont remplacer les grands baquets métalliques destinés aux vaches, mais, quoi qu'il en soit, ce voyage en pays agricole ne laisse aucun souci en ce
qui concerne l'eau.
À la sortie de Saint-Flour, nous décidons de faire notre halte déjeuner qui, aujourd'hui, peut durer deux heures. Justement, nous nous dirigeons vers le bois de la Garde et les emplacements de part et d'autre du large chemin ne manquent pas. Comme toujours, notre déballage vient agrémenter le paysage sur bien deux mètres de long tandis que les ânes se précipitent sur les bas-côtés qu'ils entreprennent de tondre avec ardeur. Nous aussi, broutons le sandwich qui nous a été préparé par un bar en guise de pique-nique. C'est un peu léger mais nous trouvons bien quelques autres gâteries au fond de nos sacs.
Du repos ! Je n'en profite pas pour "siester" mais pour m'entraîner à utiliser mon enregistreur mini-disc acquis depuis peu. J'interviewe Catherine sur ses premières impressions de voyage. Nous avons d'ailleurs les mêmes points de vue sur tous les sujets: la façon de mener nos ânes ou de gérer notre emploi du temps par exemple, et nous nous accordons à penser qu'il faut ajouter un tiers au temps de marche effective annoncée par le topo, pour prévoir ce que sera réellement notre étape. Il est amusant de constater qu'en la matière, Stevenson en compagnie de Modestine ne fit pas le même calcul, soit qu'il eût un rythme de marche supérieur au nôtre, soit que l'ânesse en eût un très inférieur à celui de nos bêtes, soit les deux en même temps: "On m'avait dit qu'un homme pouvait faire ce trajet en une heure et demie, et il ne me semblait guère trop ambitieux d'imaginer qu'un homme encombré d'une ânesse pût franchir la distance en quatre heures."
Un couple de randonneurs vient à passer. Nous échangeons quelques mots. Presque chaque fois que cela se produira, Compostelle sera évoqué: "déjà fait" ou "à faire" pour reprendre l'expression communément employée, de même qu'on dira: "faire le Stevenson" un raccourci linguistique aussi flatteur que lorsqu'on dit "La Callas" sans y adjoindre un "Madame" ou un prénom.
Guy et Annie, qui s'échappent de la région parisienne, (mais elle aussi recèle de très beaux coins...), ont dormi plusieurs fois dans des gîtes communaux, comme celui de Pradelles, dont ils nous disent le plus grand bien. On y trouve notamment, affirment-ils, une plus grande liberté de mouvement. Cher lecteur, ce "tuyau" n'est pas le nôtre mais tu peux en prendre note. Notre couple, parti du Puy-en-Velay ainsi que le propose le topo-guide, ne trouve pas le chemin monotone, mais avoue que des tracés moins domestiqués seraient à présent les bienvenus. Ils nous parlent des quatre demoiselles que nous avons rencontrées. Ils les ont vues, eux aussi. Elles s'étaient parées de couronnes de fleurs et chantaient à tue-tête. L'une d'entre elles a perdu ses lunettes pendant la cueillette et nos interlocuteurs qui les avaient ramassées les leur ont rendues à l'étape suivante. C'est cela aussi, le charme des randonnées au long court, que mon amour de la langue française m'interdit pour l'instant d'appeler "trekking".
Tout à coup, Catherine s'inquiète: "les ânes sont loin" me dit-elle. Je lui réponds, désinvolte, qu'il n'y a pas de souci à se faire car ils reviennent toujours. D'ailleurs, où pourraient-ils bien aller ? Insouciantes, nous reprenons notre enregistrement. Un peu plus tard, je me relève, mue par une sorte d'intuition: cette fois, les ânes ont bel et bien disparu. Catherine, plus prompte à remettre ses chaussures, part en courant, s'éloigne, s'éloigne...Et je finis par la suivre, mais sans trop me bousculer tout de même. A-t-elle parcouru trois cents mètres, quatre cents ? Elle revient en nage poussant devant elle les deux "bêtassons": ils filaient doucement mais sûrement vers le village, faisant marche arrière au beau milieu de la route ! Leurs frasques ne sont pas terminées, ils tentent encore une ou deux fois de bifurquer à travers champs et je dois m'approcher avec circonspection, appeler Pistou d'une voix aussi doucereuse que possible pour réussir à m'en emparer. Il se laisse attacher avec beaucoup de bonhomie et je ne saurais dire si mon âne a le sens de l'humour ou s'il est philosophe. D'ailleurs, n'est-ce pas un peu la même chose ? Quant à nous: "vigilance, vigilance !" est le leitmotiv que nous reprenons en choeur. Une deuxième déconvenue se produit bientôt, qui nous tracassera pendant les dix jours à venir: le vaporisateur de produit anti-mouches ne fonctionne plus; il faudra donc tamponner les "kikis" avec des mouchoirs en papier, c'est pratique !
Nous reprenons notre promenade de santé. Elle se poursuit dans une forêt dense tapissée d'une impressionnante épaisseur d'aiguilles de pin. Le chemin, toujours large, est un peu plus loin engazonné de tendre verdure que l'on a presque des scrupules mais complètement du plaisir, à fouler. Sur une pierre, quelqu'un a déposé un énorme cèpe. Catherine nous plaquerait bien tous, séance tenante, pour aller aux champignons, ce qui constitue l'un de ses sports favoris. En Cévennes aussi, les champignons ont tenu un rôle important dans l'alimentation. On les conservait secs sur des clayons afin de les consommer au cours de l'hiver. En ce qui me concerne, je suis tout à coup songeuse : je réalise que nous sommes en train de pénétrer l'un de ces lieux dont l'Histoire nous laisse un tragique souvenir. Mais j'ai beau essayer, la forêt est trop riante, je n'arrive pas à imaginer. Stevenson lui aussi, a eu le même genre de pensées quand il évoqua "le Gévaudan sauvage, montagneux, inculte et tout, récemment dépouillé de ses forêts par peur des loups." Il faut croire que l'O.N.F a bien travaillé depuis.
C'est donc bien à Langogne que tout a commencé, et ce sont bien ces boisements touffus qui ont dû servir de refuge à "la bête", celle que notre écrivain écossais appela "le Napoléon Bonaparte des loups" ! Nous sommes au pays de celle qui a fait régner la terreur pendant plus de cent ans. Celle que personne n'a oubliée, mais dont personne ne saura jamais qui elle était, et s'il s'agissait bel et bien d'un simple animal. D'ailleurs, on ne parla d'un loup que plusieurs années après le premier drame, car il fallait bien trouver et pouvoir nommer un responsable !
Pour ceux qui ne l'auraient pas en mémoire, rappelons les faits : cela s'est passé sous le règne de Louis XV. Oh, bien sûr, à cette époque, les loups étaient déjà redoutés des
hommes, et si, de temps à autre, un jeune berger se faisait croquer, il fallait que ce fût la faute du loup. Ce fut surtout l'excuse pour en tuer beaucoup. Plus de deux-mille bêtes abattues de 1740 à
1778 : un sport en quelque sorte, et rémunéré par-dessus le marché, puisque des primes récompensaient les chasseurs. Mais tout restait à venir. En juin 1764, une femme est attaquée par un animal
énorme, de couleur fauve avec une raie noire le long de l'échine. Elle s'en tire grâce aux cornes de ses vaches. Les suivants, eux, n'auront pas cette chance. Les attaques se succèdent. Un peu moins
d'un an après la première victime, on en dénombre déjà soixante-deux ! L'affaire va s'étaler sur trois ans. Les dragons du roi organisent une battue qui réunit vingt mille hommes. Les récoltes sont
saccagées par les galops des chevaux, mais sans le résultat escompté. Le porte-arquebuse de Louis XV, Antoine de Beauterne, lieutenant des chasses royales finit par abattre un loup énorme. Mais après
six mois sans victime, les attaques reprennent de plus belle.
Finalement, après trente nouvelles victimes, en juin 1767, Jean Chastel, un personnage à la réputation sulfureuse, abat un loup rouge, et tout se calme. Or, l'homme habitait à l'intérieur de la zone
maudite, un territoire en forme de croissant long d'une cinquantaine de kilomètres. De là à penser qu'il pouvait être l'instigateur des meurtres....? Un meneur de loups ?
Personne ne saura jamais ce qu'il en fut. Mais il ne faut pas s'étonner aujourd'hui, si la réintroduction ou la protection du loup soulèvent de fameuses polémiques. Les mythes ont la peau dure
!
Quant à Stevenson, ce qu'il en rapporte ne correspond pas tout à fait à ce qu'on peut en lire de nos jours, et laisse mieux imaginer à quel point les esprits ont divagué à partir des faits réels, pourtant déjà suffisants à créer l'émoi. Écoutons le parler de "la bête ": "...il mangea des femmes, des enfants et des bergères réputées pour leur beauté". Il poursuivit les cavaliers armés, on l'avait vu, en plein midi, poursuivre une chaise de poste et le cavalier d'escorte sur la grand-route royale, la poste et le postillon s'enfuyant au galop devant lui. Il figurait au placard, comme un criminel politique et sa tête était mise à prix, pour dix mille francs. Pourtant, quand il fut tué et envoyé à Versailles, voilà que ce n'était qu'un loup comme les autres, et petit pardessus le marché."
Quelles que soient mes pensées, voici une belle étape ! Nous arrivons à une pierre dressée : "menhir Pascalou" annonce une pancarte. Je suis en tête de caravane, Pistou me suivant
de près. Si par malheur je ralentis, il me pousse les fesses avec son museau ou bien encore soulève mon sac à dos comme un footballeur jouerait de la tête. Randonner avec des ânes n'est pas une
sinécure !
Un champ de narcisses, un petit bout de route, deux belles bâtisses en pierres sombres, nous arrivons à Sagne-Rousse. Un panneau explique l'étrangeté de ce lieu et ce qu'il en fut pour Stevenson, qui
se perdit ici. En effet, il a tourné en rond trois heures durant, bientôt surpris par la nuit. Après être parvenu à Fouzilhic, il s'est retrouvé de nouveau en arrière, à Fouzilhac. Là, un brave homme
l'a remis sur le chemin, mais il avait entre temps bivouaqué à l'aveuglette, trempé jusqu'aux os et fustigé par un vent glacial. Que s'était-il passé ?
Il décrit cette région comme un dédale inextricable : "Je fus bientôt hors du bassin cultivé de l'Allier et loin des boeufs au labour, et des
aspects de même ordre de la région. Des landes, des fonds vaseux à bruyères, des étendues de roches et de sapins, des bois de bouleaux nuancés par l'or de l'automne, ça et là, quelques minables
chaumières et des champs mornes, telles étaient les caractéristiques du pays. Coteau et vallée suivaient vallée et coteau. De petits sentiers de chèvre, herbus et pierreux, sinuaient et
s'entremêlaient, se divisaient en trois ou quatre, mouraient au lointain de creuses marécageuses et recommençaient d'essaimer, sporadiques, aux flancs des collines ou aux lisières d'un
bois."
Il est alors quatre heures. Deux heures
plus tard, il fait nuit. Cependant, l'ânesse avance bien. Cela se gâte un peu plus tard: "...Elle avançait résolue de son plein gré, poussée, eût-on dit, par un vent favorable, mais une fois sur
l'herbe et parmi la bruyère, voilà la bête devenue folle. La tendance des voyageurs de tourner tout en rond, dans un cercle, s'était développée en elle jusqu'à la rendre démente. Elle requit toute la
capacité de gouverne que je conservais en moi pour la diriger à peu près en ligne droite dans un simple champ." Notre panneau explique comment "le trajet initial qu'aurait dû emprunter Stevenson
traversait une sente mal définie dans une lande marécageuse qui borde une zone à forte concentration de champs vibratoires perturbateurs." Ce phénomène qui est un effet dû au champ magnétique
terrestre, serait assez courant en ces lieux granitiques de la Margeride .
Et pourtant, nous précise-t-on, il s'agissait du chemin traditionnel emprunté par tous les habitants du Cheylard pour se rendre à Langogne.
Dirai-je un mot sur les chevaux ? Nous en avons vu depuis le départ autant que de bovidés. Des gaillards solides à la robe brun-clair, crinière et queue déployés comme des éventails de Séville.
La fin de cette étape, bucolique et forestière à souhait, nous fait traverser une forêt de bouleaux. Cette essence est l'une de mes préférées. Elle allie la légèreté et la grâce à une impression d'éternité. Elle a quelque chose d'évanescent par la couleur de son écorce, blanche, et la tendresse de sa ramure, tandis que les troncs respirent la puissance et la sérénité.
Une descente enchanteresse nous conduit à Cheylard l'Evêque.
Soudain, au débouché d'un virage, un paysage comme je les aime, un paysage de montagne alliant une profondeur presque austère à la débauche joyeuse de la lumière et de la couleur. Des moutonnements
de genêts à balai clairsemé de genêts espagnols dont la floraison d'un jaune éclatant fait sourire toutes les nuances de vert.
Subitement, sans crier gare, le marcheur vient presque buter sur le panneau indicateur du village. On a rejoint la route, qui paraît si propre et nette, sans folie aucune après toutes les
coquetteries de la forêt.
"Comment peut- on avoir envie de visiter Luc ou le Cheylard" s'interroge Stevenson, "voilà plus que mon
esprit fort inventif ne peut imaginer."
Toutes réjouies, nous partons honorer cette journée, ce village et ses habitants, en commandant deux bières au petit bar cité plus haut. Les kikis nous attendent sous un arbre, encore chargés, et, pour une fois, j'accepte de laisser mes scrupules de côté: une journée trop belle pour ne pas se bichonner un peu. Attitude que nous prolongerons encore, après avoir établi notre campement, en allant nous immerger, nues comme au premier jour, dans le petit canal, armées d'un savon et d'une bonne dose de gaieté. Après quoi, tandis que Pistou et Praline dînent avec entrain, nous somnolons dehors sur nos sacs de couchage, Biscotte pelotonnée dans son coin, depuis longtemps prête à s'envoler au pays des chiens sans collier qui volent en déployant leurs oreilles, devenues aussi longues que celles des ânes. La dame qui habite la maison en vis-à-vis, revient du cimetière où elle rend visite chaque jour à son mari, perdu dans un accident de la route. Elle nous découvre là et échange avec nous quelques propos bienveillants.
Ce soir, nous dînons de spaghettis au quinoa (une céréale d'Amérique du Sud), saupoudrés de sésame grillé et de poudre d'ail, puis arrosés d'huile d'olive. Ce sont les réserves d'urgence qui servent à nous dépanner quand aucune épicerie ne nous a permis de nous réapprovisionner. C'est facile à transporter, sain, nourrissant et point trop lourd. Nous en raffolons et nous nous sentirons bénies des Dieux, à l'heure de nous glisser dans la plume, les pieds enfin oublieux de leurs misères passées et à venir. par Flora Berger, extrait de "Dans les pas de Stevenson" aux éditions du Fournel.
Ancien hôtel de villégiature avec un grand jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), Cévenol, GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, Montagne Ardéchoise, Margeride et des randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente.
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