Venant de Langogne en longeant l'Allier par Luc et Rogleton, Eric Poindron arrive à La Bastide Puylaurent. Il visite l'Abbaye Notre Dame des Neiges côté Ardèche avant de se diriger vers le Moure de la Gardille et Chasseradès en Lozère par le Chemin Stevenson GR®70. |
Vous mangez avec nous ? Les truites ont été pêchées cet après-midi et le potage est maison. En plus j'offre l'apéritif... C'est le propriétaire de L'Etoile Maison d'hôtes à La Bastide-Puylaurent - mille vingt-quatre mètres -, un géant sympathique d'environ trente-cinq ans qui lance l'invitation avant de montrer la chambre. Deux lits, un lavabo et une vieille table de bistrot à plateau de bois pour les écritures du soir. Vue sur l'Allier. L'ânesse a fait le sien. Elle dormira dans une grange, au pied de la rivière, près d'un vieux pont. Elle semble apprécier l'endroit. Ici même les canards ont l'air en vacances.
Vous venez de loin ? - Après Saint-Flour-de-Mercoire, nous avons suivi au plus près la rivière, évité Fouzillic et Fouzillac à cause du temps et Cheylard-l'Evêque pour arriver avant le soir. A Luc, c'était tout droit, ou presque. On voulait monter à la trappe de l'abbaye Notre Dame des Neiges, mais avec l'ânesse c'était compliqué... Pas de regret. D'après notre hôte, on a fait le bon choix. C'est haut et encore loin, malgré la nuit claire, nous nous serions égarés. Il faut connaître, c'est sauvage là,-haut. Et puis l'hôtellerie n'est ouverte qu'aux retraitants.
Bière belge pour tout le monde ? Et c'est parti, bière belge pour tout le monde. Nous sommes installés devant le feu dans la vaste salle qui sert autant à la restauration qu'à la détente quand deux nouveaux randonneurs posent leurs sacs : Raoul, un Stéphanois, et Graeme, un Anglais de Bristol. Arrive enfin Billy, le labrador feu du gîte. En dehors des villes, il est inutile de faire de longues présentations. On n'affiche pas les couleurs, on ne dresse aucun pavillon. Les sacs à dos suffisent à la complicité.
Le propriétaire revient les bras chargés de fruits secs. Les langues se délient. Après la marche, un type qui soupe avec vous devient votre ami. Question(s) de parcours. Le seul à s'expliquer, c'est le propriétaire du gîte : - Je m'appelle Philippe Papadimitriou, je suis moitié belge, moitié grec et le reste du temps lozérien. Avant de s'installer à La Bastide-Puylaurent, de s'arrimer à la Lozère, il a arpenté l'Australie, cherché de l'or en Californie et traversé la France à cheval. C'est comme ça qu'il a découvert la Lozère et craqué sur l'endroit. Deux chevaux, sa nana avec un cheval et deux chiens. Il s'est posé et, six mois après, il démarrait le gîte.
J'adore, j'ai l'impression d'avoir un bateau. Depuis j'en mets un coup. La vie est précieuse. Puis il raconte la petite histoire de sa maison, autrefois une pension de famille comme
il faut, l'hôtel Ranc. Monsieur y emmenait femme et enfants afin qu'ils prennent l'air et se pressait d'aller retrouver sa maîtresse sur la Riviera. Philippe cherche à conserver le côté pension de
famille, même pour une nuit. "Quand on part de chez moi, on doit avoir une seule envie, revenir au plus vite."
Il ne lésine sur aucun moyen pour augmenter sa clientèle de fidèles: nourriture impeccable, chambres spacieuses, atmosphère unique. Sans compter l'humour à froid et une grande aptitude au bonheur.
Philippe a le feu sacré, il refuse de baisser les bras, "même si ce pays n'est pas le sien, justement parce que ce pays n'est pas le sien". Il peste contre la main-d'oeuvre qui cherche à gagner Le Puy-en-Velay, Saint-Étienne ou le Sud. Qu'est-ce qu'ils feront de plus, à Montpellier ? Mais il n'accable personne, il sait que vingt-cinq ans de Lozère, ça
peut donner des envies d'ailleurs et de fuite définitive. Lui, il se plaît ici.
La soupe sent le jardin, la chair des truites est ferme et les crêpes maison sont servies à discrétion. Le petit vin coquet de Notre-Dame-des-Neiges accompagne l'ensemble. Vin de fruits et vin de messe, tout passe dans le même tube. Si Stevenson avait connu la maison d'hôtes L'Etoile, nul doute qu'il y aurait séjourné. À table, chacun y va de son anecdote, de ses impressions désordonnées sur les lieux traversés. Raoul le Stéphanois raconte ses exploits. Il a fait la Corse cet été. Graeme, l'Anglais filiforme, spécialiste du romantisme allemand et du Sturm und Drang, modère l'importance de Stevenson sur le sol anglais. Comme à regret. - Travels with a donkey in the Cevennes, pour nous, c'est un livre pour les enfants, un livre de dictée. Un charmant texte pour apprendre l'orthographe. Puis il exhibe son manuel, un petit livre rouge, illustré et corné, qui l'accompagne durant sa marche. - Quand j'ai parlé de mon voyage à mes amis, ils se sont étonnés. Chez nous Stevenson est un raconteur de belles histoires, un écrivain populaire...
Professeur de français pendant plusieurs années dans le Languedoc, c'est en France que Graeme a découvert le Voyage. Il ne regrette pas la marche et veut terminer sans retard car pour lui, à Saint-Jean- du-Gard, c'est la fin des vacances. Il doit regagner l'Angleterre dans quelques jours. Il lève son verre aux rencontres françaises.
Philippe en profite pour
apporter du café, de l'alcool de poire et des petits gâteaux belges à la cannelle. Il pose le plateau et s'empare de sa guitare... "J'ai traversé le monde et la Californie, j'ai mis les mains dans la
boue pour trouver l'or, je suis un chercheur d'or." C'est en chantant Dylan, Neil Young, Eagles et son propre répertoire - dont il n'a pas à rougir - qu'il poursuit son histoire de cow-boy
moderne.
Une bûche dans l'âtre et la folk ambiance s'installe. This boots are made for walking... Raoul en profite pour surveiller ses ampoules naissantes. Café, bière et Léonard Cohen. Les chansons, ça réchauffe. Après la belle étoile, le beau gîte de L'Etoile. Quand Graeme l'Anglais demande au Belgo-Grec si il a lu "Voyage avec un âne dans les Cévennes", l'autre sourit : - J'ai lu deux livres dans ma vie. Ma bibliothèque, c'est ma tête. Sur la route à quatorze ans. Travailler dans des fermes, dormir dans les granges et après l'Amérique. Ils sont là, mes livres.
Des moines dans la montagne. Et je rendis grâce à Dieu d'être libre d'errer, libre d'espérer, libre d'aimer...
Septième jour, 21 septembre. Raoul et Graeme sont déjà sur la route, en direction du Mont Lozère. Ils ont suivi le GR®70 et sont montés la veille à Notre-Dame-des-Neiges. Sur le chemin on sympathise sans s'obliger, et c'est déjà l'heure de
l'adieu.
Avant de quitter le gîte, Philippe le Grec nous rattrape. - Eh ! les gars, vous avez vu mon palmier? Unique en Lozère, il a fait la une des journaux de La Bastide-Puylaurent. C'est un palmier
minuscule, sauf pour son propriétaire qui le regarde avec des yeux d'enfants. Quand un Grec plante un palmier en Lozère et y ajoute de la poudre de perlimpinpin ou d'escampette, l'arbre peut
atteindre la taille d'une montagne. Extrait de "Belles étoiles" Avec Stevenson dans les Cévennes, collection Gulliver, dirigée par Michel Le Bris, Flammarion.
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, GRP® Cévenol, Montagne Ardéchoise, Margeride et de nombreuses randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente et de randonnée.
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